5e étape du tour du monde des tiers-lieux par Wide Open avec un projet pionnier en matière d’urbanisme transitoire : Vila Itororó, à São Paulo.

Pour la 5e étape de l’exploration des écosystèmes positifs, Wide Open s’est rendu à São Paulo, au Brésil, à la rencontre d’un projet pionnier en matière d’urbanisme transitoire : La Vila Itororó. Si le projet Young – dont nous vous parlions lors de notre passage à Montréal – était un bâtiment municipal vacant, mis à disposition durant la période précédant ses travaux, Vila Itororó est quant à lui un complexe patrimonial architectural unique, ouvert au public dans la période même de sa rénovation, d’où le nom complet du projet : « Vila Itororó, Canteiro Aberto » ou « Vila Itororó, Chantier Ouvert ».

 

Un étonnant complexe architectural

La Vila Itororó, au 238 rue Pedroso du quartier de Bela Vista, désigne un complexe architectural singulier : plus d’une dizaine de bâtiments construits au début du XXe siècle par un entrepreneur brésilien d’origine portugaise, Francisco de Castro, à des fins résidentielles et récréatives.

Écoconstruction avant l’heure, la Vila fut en grande partie construite à partir de matériaux récupérés dans d’anciens bâtiments de la ville – notamment certains vestiges du théâtre São José – conférant à sa composition un charme éclectique aux accents surréalistes, plutôt commun à l’époque mais aujourd’hui détonnant dans le paysage urbain paulista.

Son créateur étant mort sans laisser d’héritier, le complexe est par la suite racheté puis ses résidences louées à des particuliers au profit d’un hôpital. Suite à sa faible rentabilité, les propriétaires se distancient de leur bien et la Vila se détériore, livrant ses locataires à eux-mêmes, dans une ambiguïté légale.

Une fois expropriée par l’État et la Municipalité de São Paulo, les familles résidentes, dont certaines y sont installées depuis plusieurs générations, sont délogées au nom d’un décret d’utilité publique datant de 2006, avec pour projet l’instauration d’un centre culturel. En 2013, un partenariat entre le Municipalité de São Paulo et l’Institut Pedra permet que la restauration de cette forme urbaine anachronique commence.

Pour un patrimoine vivant

Plutôt que d’attendre la rénovation achevée, le choix est fait d’ouvrir grand les portes de l’espace dès le début des travaux. Un débat collectif définit les contours de l’occupation temporaire qui aura lieu.

Le pari est fou, avant-gardiste, poétique. Laisser accessible, à la vue de tous, ce processus de rénovation. Inviter le public à interroger, à déambuler au milieu des statues, à venir faire une sieste près des colonnes brisées. Rendre transparente la question des financements, le travail des équipes et les choix à faire.

In fine, inviter le quidam à rentrer dans la danse, dans la réécriture de ce patrimoine qui est le sien aussi, après tout. Ce choix de la transparence, de l’invitation ouvre la voie à une réappropriation individuelle et collective de la notion de patrimoine et ici particulièrement de ces bâtisses fantasques – ayant longtemps peuplé les imaginaires locaux.

Aux antipodes de la froideur d’un patrimoine opaque ouvert une fois par an et de ses écriteaux d’information soporifiques, la Vila Itororó fait office de patrimoine vivant, présent, profondément nôtre : bottes de chantier aux pieds et casque d’ouvrier sur la tête, on se balade sur le site et saisit vite que l’héritage qui se joue ici ne se résume pas à des pierres irrégulières, à des dates ou des courants architecturaux mais est aussi et avant tout le fruit d’un entrelacs de vies, de rêves avortés ou oubliés, de résistances, de cycles urbains et humains, un morceau de notre histoire à tous et de celle de São Paulo.

Espace culturel car public

Le centre culturel est ici et maintenant, dans son propre chantier, sans avoir à attendre que les infrastructures soient prêtes. Tous les jours, comme une extension de l’espace public, le grand hangar de Vila Itororó relève ses rideaux de fer et se laisse habiter par la population locale.

Les infrastructures de cette occupation temporaire sont minimalistes : un mobilier amovible, fait de palettes de bois peintes signé ConstructLab, des motifs graphiques peinturés sur les murs par Monica Nador en collaboration avec des anciens habitants de la Vila, quelques tables et bancs, une balançoire, des toilettes, une cuisine ouverte, un piano, trois gradins à roulettes, des miroirs, une bibliothèque en libre-service et des tapis de sol.

Dans cet espace qui aurait dû être réservé aux seuls employés de la municipalité, aux ingénieurs, aux architectes, aux ouvriers, cohabitent aujourd’hui des enfants fonçant à toute allure sur leur trottinette ou leur vélo, des femmes prêtes pour leur cours de Zumba, des sans-abris venus chercher un peu d’ombre et de répit dans les larges hamacs, un jeune actif attiré par le wifi gratuit, un vieillard se prêtant pour la première fois à la sérigraphie, un collectif de cirque profitant de cette grande hauteur de plafond pour répéter ses numéros de voltige.

Depuis 2015, dans l’improvisé et le provisoire de ce hangar est venu s’engouffrer la vie. Dans le sous-sol, à côté du fablab municipal, l’atelier bois des ouvriers est mis à disposition plusieurs fois par semaine pour des workshops auprès d’apprentis, dans le cadre d’un programme de formation ouvert à tous. A Vila Itororó, on vient flâner, passer le temps, retrouver un ami, suivre un cours gratuit, participer à un évènement. Plusieurs projets artistiques ont même été développés, dont l’un a abouti sur l’ouverture d’une clinique de psychanalyse publique dans la Vila, sous la supervision de Daniel Guimarães, suivant aujourd’hui plus de 150 personnes gratuitement !

En parallèle d’une programmation culturelle fixe, d’ateliers et évènements entièrement gratuits, s’improvise une programmation vivante, rythmée par les désirs des publics locaux. Le projet curatorial conçu par Benjamin Seroussi, en collaboration avec Fabio Zuker, Graziela Kunsch et Helena Ramos, a comme objectif paradoxal de résulter sur un processus incrémental, aux mille et un contributeurs.

Suivant le fil de l’ici et du maintenant, Vila Itororó va plus loin qu’une politique culturelle dite de proximité, le centre culturel ne choisit pas son public, il met en œuvre les conditions nécessaires à la réceptivité, l’écoute et l’accueil des besoins et envies actuels de tous les publics qui voudront habiter ce lieu, en faire leur destination choisie pour se détendre, travailler, créer.

Il s’agit d’une démarche profondément expérimentale : avoir l’audace de déconstruire cette idée de culture institutionnalisée, normée, et incarner un fait simple, la culture est partout et tout est culture. Le banal de cette vie du quotidien, le plaisir de l’oisiveté, les rires de ces enfants en fond sonore de l’exposition, si c’était tout cela la culture ? Si c’était la vie même, et non un à-côté. La perméabilité totale entre le centre et la rue même est un symbole fort de ces questions posées par Vila Itororó : où commence et où finit l’espace culturel ? Qui sommes-nous pour dire ceci est de la culture et cela n’en est pas ?

Laboratoire collectif et droit à la ville

Il n’y a d’ailleurs pas que la culture qui est débattue dans cette occupation temporaire. Cette vision du collectif s’étend à la notion d’urbanisme, dans une approche transitoire, itérative et participative. L’espace, organisant des débats sur le futur de l’espace, accueillant et observant ses usages spontanés, a constitué un laboratoire précieux, à même d’orienter in vivo la construction du futur site culturel. Plutôt que d’appliquer la vision calquée d’un site culturel ex nihilo, il s’agit de restituer à tous ce droit à la ville.

Partir de cette communauté qui est déjà là aujourd’hui, qui exprime ses besoins et ses rêves, pour construire un bâti liquide à même de conserver la magie de cette dynamique temporaire. Par son échelle de petit quartier, Vila Itororó apparaît enfin comme un superbe laboratoire urbain, une version miniature de la ville même, où tester sans peur de nouveaux usages, leurs croisements et hybridations, avant d’imaginer éventuellement les dupliquer à l’échelle de São Paulo.

Pourquoi ne pas finir (ou commencer) par (ré)intégrer par exemple des logements au cœur de ce centre culturel ? Imaginer et expérimenter collectivement de nouvelles manières de vivre l’espace public et la culture, de les habiter ensemble, voici la liberté qui a été offerte par l’épisode de Vila Itororó. Dans un contexte brésilien de suppression récente du ministère de la culture, qui sait pourtant ce que la municipalité décidera de faire des enseignements de cette parenthèse transitoire ? Vila Itororó est en cela un bastion temporaire d’une liberté bien fragile, appartenant plus que jamais à un présent à faire durer.

Le laboratoire en image

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