La 5e étape du projet Wide Open – tour du monde des écosystèmes positifs – s’est faite à São Paulo, la plus grande ville du Brésil.

Avec ses plus de 12 millions d’habitants en 2018, la ville bouillonne d’initiatives culturelles, d’espaces hybrides d’un nouveau genre : un terrain d’exploration particulièrement fécond pour Wide Open, et l’occasion de se pencher sur un espace unique, au coeur du quartier de Palmeiras, le “centre culturel et de loisirs”, SESC Pompeia.

 

 

 

UN CENTRE CULTUREL PRIVÉ

Cette ancienne usine de tonneaux, réhabilitée au début des années 80 par l’architecte Lina Bo Bardi est aujourd’hui un centre culturel atypique, drainant des populations de tous les horizons. Haut-lieu de la culture, le complexe comprend plusieurs infrastructures sportives, une bibliothèque, un théâtre, des espaces d’exposition, un restaurant, un solarium et un espace de convivialité. Bien que jouant un rôle majeur dans le dynamisme culturel et le bien-être des paulistas, SESC Pompeia n’est pourtant pas porté par la ville même, bien au contraire ! Entièrement privé, il appartient à un large réseau d’espaces semblables, communément appelé “SESC” (Serviço Social do Comércio) ou Service Social du Commerce.

 

ALLIANT CAPITAL ET BIEN-ÊTRE COLLECTIF

Le réseau SESC, a été créé en 1946 – soit 40 ans avant le ministère de la culture – par une partie du patronat brésilien simultanément à la publication d’une “Charte de paix sociale” progressiste, avançant que « le capital ne doit pas être considéré juste comme un vecteur de profit, mais principalement comme un moyen d’expansion économique et de bien-être collectif ». Ces patrons éclairés font alors inscrire dans la loi une taxe parafiscale de 1,5% de la masse salariale des entreprises du secteur tertiaire : les fonds recueillis par un organisme public – l’Institut de Prospective Sociale de l’Etat – sont ensuite redistribués aux SESC régionaux, qui disposent en retour d’une autonomie totale dans la gestion des ressources et dans l’offre culturelle qu’ils proposent. Dès lors, l’employé – ainsi que ses proches bénéficie d’un abonnement gratuit au SESC de son état et même les employés ne travaillant pas pour une entreprise tertiaire peut y cotiser pour une somme modique (~ 20€/an).

Avec 42 unités dans 21 villes de l’état de Sao Paulo, SESC est le principal opérateur culturel privé du pays. Bien qu’initialement dédié au volet social – offrant dentistes, maternités, restaurants abordables et infrastructures sportives – SESC redessine aujourd’hui les contours de la notion de culture et d’espace public, grâce à son expertise unique, construite au fil des ans, dans la création d’écosystèmes positifs fédérateurs, au service des communautés.

DES ALLURES D’ESPACE PUBLIC

SESC Pompeia constitue à cet égard un beau symbole. Dédié selon les mots de son architecte “aux jeunes, aux enfants et aux personnes du troisième âge : à eux tous ensemble”, l’espace relève haut les mains les défis majeurs que constituent l’inclusion et la diversité pour un centre culturel, parvenant à attirer des publics de tous les âges et tous les milieux sociaux. Par une programmation éclectique – de l’artiste à découvrir aux têtes d’affiche – , des horaires amples, des tarifs très accessibles et un aménagement propice à l’appropriation spontanée, l’espace est devenu un lieu de vie et de rencontre pour le plus grand nombre.

Au détour d’une balade entre ses piliers de béton, vous croiserez successivement des groupes de retraités jouant aux échecs dans la bibliothèque, des familles venues assister à un spectacle de cirque, des jeunes partageant une bière dans le patio, des oisifs venus se prélasser au soleil… Ce qui était un lieu de labeur est aujourd’hui un temple de détente pour tous, une vraie “citadelle du loisir”, selon l’expression de Lina Bo Bardi, qui sera reprise en 2012 par Richard Copans dans documentaire dédié.

 

POUR UNE CULTURE DU QUOTIDIEN

Loin d’une vision élitiste et au-delà du concept même de culture de proximité, l’espace élargit la notion de culture : l’éducation – pensée comme une condition préalable de la transformation sociale – passe par une culture intégrée dans la vie de tous les jours, plutôt que proposée comme quelque chose à part.

L’art rencontre alors les loisirs et les deux s’allient pour davantage d’inclusion sociale, c’est l’art d’éduquer de manière informelle, en laissant les visiteurs libres. Lieu d’apprentissages, Sesc Pompeia développe donc une action non formelle, permanente, diluée dans l’ensemble des infrastructures et dans sa programmation, avec pour but final l’autonomisation et la rencontre, que ce soit avec d’autres visiteurs ou avec un courant de pensée, un artiste, une discipline. Plus qu’un simple centre culturel et derrière son allure de récréation, Sesc Pompeia est un espace de développement individuel et collectif.

ET SI LE PRIVÉ POUVAIT ŒUVRER POUR LE BIEN COMMUN ?

Au regard de notre recherche sur les nouveaux écosystèmes positifs, Sesc Pompeia est un modèle particulièrement inspirant, notamment dans l’interrogation qu’il soulève sur le rôle et la responsabilité des acteurs privés dans la fabrique de la ville. Cet écosystème constitue un point de ralliement fort pour toutes les communautés locales, davantage même que la plupart des espaces publics environnants. Si ce modèle n’est pas directement transposable puisqu’intimement lié au système fiscal brésilien, il montre cependant qu’il est possible de penser des espaces culturels privés capable de changer radicalement le paysage urbain et d’œuvrer pour le bien-être collectif des habitants du territoire dans lequel il est implanté. La création de capital n’a rien antinomique avec l’inclusion sociale et un centre culturel ne devrait pas proposer une programmation qui n’atteindra qu’une frange des communautés. Il est temps de repenser le rôle du capital, des acteurs privés et de la culture dans la construction d’une cité plus durable et plus humaine, au service du bien commun et Sesc Pompeia est la preuve concrète qu’il ne s’agit pas là que de mots.

 

Cet article est publié sur EDHEC NEWS

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